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Godard par lui-même au Centre Pompidou

27 mai 2006

Ce projet ne pouvait pas aboutir sans malice. Dès l'entrée, Jean-Luc Godard affiche une formule à interpréter ("Ce qui peut être montré ne peut être dit"), tandis qu'une inscription officielle informe le visiteur que "le Centre Pompidou a décidé de ne pas réaliser le projet d'exposition intitulé "Collage(s) de France, archéologie du cinéma d'après JLG" en raison des difficultés artistiques qu'il présentait (les mentions "techniques et financières" sont barrées) et de le remplacer par un autre programme intitulé "Voyage(s) en utopie"". Alors que Jean-Luc Godard avait travaillé avec le commissaire d'exposition Dominique Païni, depuis 2003, sur son projet d'exposition au Centre Pompidou, leur collaboration a pris fin au mois de janvier et le cinéaste a terminé seul la scénographie (Le Monde du 24 avril).

Sur 1 200 m2, l'exposition investit trois grands espaces, sans autre parcours fléché, sous-titres, modes d'emploi, cartons explicatifs que ces trois indications : "Avant-hier", "Hier", "Aujourd'hui". Jean-Luc Godard a toujours rechigné à décrypter ses films, comme il a clamé très tôt son refus de raconter des histoires et fait preuve de volupté à dévoiler les arrière-cuisines. Il s'était plaint en 1993 d'avoir manqué de temps pour finir Hélas pour moi et d'avoir été contraint de laisser sortir un film inachevé, qu'il n'avait pas signé ; aujourd'hui, il sait ce qu'il fait en disposant ici et là des grillages, tasseaux, palissades et gravats sous un lit de prison. Il joue double jeu, donnant à réfléchir sur le pourquoi de telle installation elliptique tout en semant des indices d'inachèvement. L'impression qui se dégage de cette exposition est celle d'un chantier. Il règle ainsi à la fois ses comptes avec le cinéma actuel et avec les modes de fonctionnement et les blocages d'un grand musée.

CONSTRUCTIONS SAVANTES

S'il est un domaine où il n'y a pas de mystère chez cet adepte du jeu de mots, c'est celui des titres. "Collage(s) de France", première appellation de l'expo, était une allusion coup de griffe à sa tentative de donner jadis au Collège de France des cours associant l'histoire du cinéma et l'histoire du XXe siècle. Godard a envisagé de reproduire ce projet avorté via neuf salles. Ce sont les maquettes de ces neuf salles, "collées" par ses soins, qui sont disséminées - certaines derrière des grilles avec des ready-mades de Marcel Duchamp associant roue de vélo, tire-bouchon, Freud et la notion de totem et tabou, d'autres, ici et là, constructions architecturales savantes mêlant objets cinématographiques préhistoriques et livres de Schopenhauer, Karl Kraus ou Georges Bataille, avec citations, tandis que chemine d'une pièce à l'autre un train électrique et que des plantes vertes ou des décors cosy défient les images diffusées par des alignements d'écrans petits et grands.

La seconde appellation, "Voyage(s) en utopie", renvoie autant à la perspective (dans le fil de la pensée du philosophe allemand Walter Benjamin) de trouver une morale de la représentation, sauver de l'oubli les victimes de l'Histoire, que de mener à bien cette réflexion dont Godard crut que le Centre Pompidou pouvait être le cadre et dont il ne reste que des stigmates. La vision de Vrai-faux passeport, film qu'il a réalisé pour l'exposition et montré in extenso ou par bribes, en fournit une version accessible. Il y décline divers thèmes ("Les dieux", "Torture", "Liberté", "Enfance", "Miracle", "Eros", "Terreur"...), illustrés par des séquences de films ou des extraits télévisuels auxquels il décerne des bons ou des mauvais points, qu'il dénomme "bonus" ou "malus".

Un procédé scolaire, facile, parfois contestable ou égocentrique (lorsqu'il se décerne un bonus à lui-même). Reprenant le principe qu'il avait inauguré en 1978 à l'université de Montréal (conférences avec juxtaposition de fragments de ses films ou d'autres oeuvres du patrimoine), il y donne libre cours à son goût du rapprochement entre deux images, deux séquences.

L'exercice s'apparente au montage, au collage, et vise à annihiler le commentaire pour susciter l'émoi, l'"étincelle", "des étoiles qui se rapprochent ou s'éloignent", comme disait Walter Benjamin. Leçon de cinéma, de morale du regard. Par exemple, une scène de torture de Reservoir Dogs, de Quentin Tarantino, est opposée au témoignage d'un soldat de la guerre d'Algérie hanté par l'indicible. Au final, c'est grâce à l'image animée que les visiteurs éviteront de traverser l'expo comme jadis les héros de Bande à part au Louvre, en neuf minutes quarante-cinq secondes.


Voyage(s) en utopie, Jean-Luc Godard, 1946-2006. Centre Pompidou, galerie sud, niveau 1, place Georges-Pompidou, Paris-4e. Métro Rambuteau. Tél. : O1-44-78-12-33. Du mercredi au lundi de 11 heures à 21 heures. Jusqu'au 14 août. Entrée générale : 10 €..

lu sur: www.lemonde.fr

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posted by urbanohumano, 16:58

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