Un an après le «non» français: l'Europe engluée
30 mai 2006
Les non français et néerlandais au projet de Constitution ont-ils marqué un coup d'arrêt à la construction européenne?
Depuis un an tout est figé. La dynamique qui s'était développée autour du projet constitutionnel est bloquée - sans doute durablement. En France et aux Pays-Bas, les opinions n'ont pas évolué, ce qui interdit le recours à de nouvelles consultations comme on l'a fait dans le passé au Danemark et en Irlande.
Jugez-vous envisageable la conclusion d'un accord entre le dirigisme français, minoritaire en Europe, et les valeurs libérales en vigueur presque partout ailleurs?
Les éléments fondamentaux de la construction européenne ne doivent pas grand-chose aux conceptions anglo-saxonnes, et ils ne changeront pas: l'Europe est fondée à la fois sur la coopération et sur la concurrence. Sur ces principes constitutifs, aucun compromis n'est possible. Or ce qui se devine derrière certaines réserves exprimées en France - par exemple à l'encontre de la directive Bolkestein sur les services - c'est le refus du principe concurrentiel dans une Europe élargie. La discussion peut se développer en revanche sur des idées dont les Français sont aussi porteurs - sur la nécessité d'aller au-delà de l'union monétaire, sur les politiques sociales, ou sur la capacité de l'Europe à se comporter en acteur de la scène internationale. Encore faudra-t-il que ces idées soient effectivement portées.
L'Union peut-elle se passer d'un leadership qui jouerait le rôle d'entraînement rempli naguère par l'Allemagne et la France? Quelle place le couple franco-
allemand occupe-t-il dorénavant?
Du côté allemand, la chancelière Angela Merkel a pris des engagements très forts en faveur de la poursuite de l'intégration. Du côté français, il faudra attendre les rendez-vous électoraux de l'année prochaine. Très vite, le futur président (ou présidente) devra énoncer ses priorités, préciser ce qu'il accepte de remettre en cause des positions traditionnelles de la France, dire où se situent ses lignes rouges. S'il est capable de le faire, la France retrouvera une plus grande autorité. Sinon, ses partenaires apprendront à ne plus l'attendre. En tout état de cause, le couple franco-allemand ne peut plus être dans l'Union des Vingt-Cinq ce qu'il était dans l'Europe des Quinze. A cette époque, les écarts entre Paris et Bonn résumaient beaucoup des différences entre les autres partenaires. En sorte qu'un arrangement entre les deux capitales ouvrait la voie à l'accord de tous. Ce modèle n'a plus cours. La France et l'Allemagne peuvent tomber d'accord: elles n'entraîneront pas nécessairement l'adhésion de la Pologne.
Peut-on dès maintenant reprendre la réflexion sur les institutions, ou vaut-il mieux mettre en avant des projets concrets, comme le furent Airbus et Erasmus?
On ne peut pas faire l'économie de la réforme institutionnelle. Songez qu'avec la pondération des voix instituée par le Traité de Nice, il devient presque aussi difficile d'atteindre la majorité qualifiée que l'unanimité. La décision est donc entravée. Par ailleurs, le Conseil à vingt-cinq fonctionne mal - nettement moins bien que l'Eurogroupe, qui ne compte que les douze partenaires de la zone euro. La construction européenne, pour autant, ne se réduit pas à un débat sur l'ingénierie institutionnelle. Les questions aujourd'hui posées vont au delà: quelle est l'identité de l'Union? De quelle Europe les Européens ont-ils encore besoin?
Déception au PS
Rivalités personnelles?
Retour en force des logiques partisanes? C'est au Parti socialiste que la déception est sans doute la plus grande.
Quoi qu'on pense de son virage à gauche, Fabius avait mené son affaire de main de maître. Au soir du 29 mai 2005, le PS semblait à la portée de l'ancien premier ministre. Douze mois plus tard, la désillusion est totale. Ce n'est pas Fabius qui cartonne dans les sondages, mais la très eurocompatible, la social-
démocrate Ségolène Royal, qui admire Tony Blair et plaide pour un «ordre juste». Oubliés, les slogans contre l'Europe marchande. La tendance est au «royalisme», fait de prudence et même d'un certain apolitisme.
Que s'est-il passé? Fabius n'a pas su capitaliser sa victoire au référendum. Trop complexe. Le réflexe légitimiste a permis à François Hollande de l'emporter au congrès du Mans, en novembre dernier. Surtout, pour les électeurs socialistes, le référendum n'était qu'une étape. D'autres, depuis, l'ont éclipsée: le combat contre le Contrat première embauche (CPE) notamment, au cours duquel la majorité du PS s'est refait une santé.
Plus à gauche, les rêves d'union «antilibérale» ont du mal à se réaliser. On fait semblant d'y croire, histoire d'entretenir la flamme du 29 mai.
L'extrême gauche divisée
Au début du mois, le porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), Olivier Besancenot, proposait une «bouffe à quatre à ses «amis» «Marie-George (Buffet), Arlette (Laguiller) et José (Bové)». Objectif: rassembler la gauche de la gauche derrière un seul candidat, pour éviter l'éparpillement. L'altermondialiste José Bové applaudit des deux mains, puis propose, hier dans le Journal du dimanche, sans attendre l'avis des autres, qu'il conduise lui-même ce grand élan antilibéral… S'il est possible que Bové et Besancenot s'allient en 2007, on voit mal le Parti communiste ou Lutte ouvrière renoncer à présenter des candidats. La grande fête du «non» est bien terminée.
Mathieu Van Berchem
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